Les frémissements actuels ne suffisent pas à convaincre les professionnels du retour de la croissance.
La «reprise », Thibault Deschamps, jeune entrepreneur parisien, exploitant de deux pâtisseries près des Grands Boulevards, à Paris, ne la voit pas encore. Mais tout de même, les affaires vont moins mal, reconnaît-il. «Ça se maintient.»
Sans être enthousiaste, ce chef d’entreprise sent un frémissement de la consommation «après un hiver hypertendu». «On a l’impression que les Français se battent, qu’ils veulent continuer, malgré tout, à se faire plaisir», observe-t-il.
Le ressenti de M. Deschamps illustre l’état économique de la France qui, sans être bon, est moins mauvais. Les indicateurs publiés par l’Insee, mardi 23 juillet, attestent de cette «timide éclaircie». Si le climat des affaires dans le secteur du bâtiment reste morose comme dans le commerce de détail ou la réparation automobile, la situation s’améliore progressivement ailleurs.
Défier la «sinistrose »
Globalement, le climat des affaires a gagné 1 point en juillet à 87 points, indique l’Insee. Et le moral des industriels continue de grimper à 95points en juillet contre 93 juin. Du mieux donc, même si ce score reste inférieur à 100, sa moyenne depuis 1976. Pourtant, dans le milieu des petits patrons, un discours positif comme celui de M. Deschamps détonne.
La plupart des chefs d’entreprise en particulier, ceux qui ont écouté François Hollande le 14 Juillet affirmant «la reprise est là», restent perplexes et inquiets. Parfois même en colère contre un président qu’ils jugent déconnecté des réalités. «Quand c’est difficile et qu’on entend des choses comme ça…, souffle François Asselin, à la tête d’une entreprise de menuiserie, ébénisterie, charpenterie et ferronnerie à Thouars (Poitou-Charentes).Pour nous, les carnets de commandes restent “raplapla”.»
«La reprise? Je l’attends! Sur le terrain, je n’ai pas les mêmes échos», insiste Guillaume Cairou, à la tête du Club des entrepreneurs et patron d’une société de services en ressources humaines. Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), ne dit pas autre chose. «On espère, mais pour le moment…». Le responsable du syndicat constate pourtant, lui aussi, des petits signes d’amélioration : des destructions d’emploi qui ralentissent, des contrats d’intérim qui repartent légèrement. «Admettons. C’est positif», dit-il sans conviction.
Le décalage entre la vision de l’Elysée et celle des petits patrons s’explique. En partie par un brin d’exagération côté présidentiel. Depuis quelques mois, la plupart des économistes constatent que certains indicateurs relatifs à la production industrielle ou à la consommation se dégradent moins ou progressent légèrement. Assez, peut-être, pour que le pays sorte de la récession au deuxième ou au troisième trimestre. « Les enquêtes de conjoncture laissent penser que la croissance sera légèrement positive, mais on reste proche de zéro », confirme Guillaume Menuet, économiste chez Citi à Londres.
Une bonne nouvelle toute relative, donc. «Mais ce n’est pas étonnant que les dirigeants politiques s’en saisissent, admet M.Menuet, et ce n’est pas choquant, du point de vue du politique, de vouloir rosir le tableau. » C’est une façon de défier la «sinistrose» ambiante et ses effets auto-réalisateurs.
Encore faudrait-il que les chefs d’entreprise y croient. Or, ce qu’ils observent, c’est du chômage, des impôts qui risquent d’augmenter et un horizon toujours incertain. Et pour nombre d’entre eux, assurer le chiffre d’affaires, remporter des contrats est un sport de combat qui exige de faire des efforts sur leurs marges. Dans ce contexte, les entrepreneurs rechignent à investir. Selon l’assureur-crédit Euler-Hermes, l’investissement, qui a déjà enregistré cinq trimestres consécutifs de baisse, ne devrait pas repartir avant plusieurs mois. Difficile ainsi d’envisager une croissance durable et un rebond de l’emploi. L’Etat essaie par divers moyens de pousser les entreprises à investir, mais il faut encore «transformer l’essai »,dit Euler-Hermes. Bref, si reprise il y a, elle reste «technique».
«Bruit statistique »
Plus sombre, Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, n’attribue la petite embellie qu’au «bruit statistique». Autrement dit, à un phénomène fragile et temporaire. Rien de ce qui fabrique une croissance durable ne repart, explique-t-il: les profits des entreprises restent faibles et l’investissement, les exportations, le logement sont mal orientés… «On est peut-être sorti du trou, mais on n’a pas le droit de parler de reprise!», résume l’économiste, rappelant que le niveau de la production industrielle est encore de 15% inférieur à son pic de mai 2008.
Pour réamorcer la pompe, les experts prônent des réformes de structure consistant notamment à alléger les charges des entreprises afin de restaurer leur marge et les pousser à investir. A l’image du crédit impôt compétitivité emploi(CICE). «Sauf qu’il en faudrait six comme ça pour que les profits des entreprises retrouvent leur niveau de 2000», calcule M.Artus.
Chez les petits patrons, on n’en demande pas tant. On réclame surtout une simplification des outils à disposition et une clarification du message concernant la fiscalité. «Si les chefs d’entreprise ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés, ils n’investiront pas .Là on est dans le flou, les impôts vont augmenter, mais lesquels ? Quand?», s’agace M. du Mesnil de la CGPME. «En France, l’attente n’est pas tant d’avoir un discours rassurant que de proposer un plan pour lutter contre la crise», conclut Guillaume Menuet chez Citi. Pour lui, le gouvernement français a un boulevard pour lancer des réformes, mais il ne le fait pas.
Par Guillaume Cairou